Affiche du film L'Accident de piano

L'Accident de piano

Un film de Quentin Dupieux, sorti le 2 juillet 2025

Status: Vu le 19 juillet 2025

Oriane Grand Ecran

On pourrait retenir le commentaire bête et méchant sur les réseaux sociaux et l'escalade de concepts qui inondent les vidéos sur youtube, mais ce serait un angle plutôt faible. Dupieux en parle comme des gens de la génération précédente parlent de tous ces phénomènes qu'ils ne comprennent pas, tels des Ardisson ou des journalistes sur des plateaux qui se moquent des ces gens qui regardent d'autres gens jouer à des jeux vidéo sur Twitch. Comme si l'histoire du cinéma, de la littérature ou des arts muséaux n'étaient pas remplis d'exemples d'oeuvres qui cherchent à aller toujours plus loin, avec toujours plus de budget, toujours plus de moyens déployés, je pense à des tournages à l'autre bout du monde, des fresques épiques, des péplums, toute l'industrie d'Hollywood. Que ce soit consacré et toléré (recherché ?) aujourd'hui ne fait que confirmer que l'angle de la critique de youtube est un angle assez limité, en tout cas historiquement. Youtube accélère la surenchère, mais elle ne l'invente certainement pas. On pourrait alors retenir la mise en abyme du film, dans cet arc de Dupieux qui ressemble finalement à beaucoup d'arcs de réalisateurs qui passés plusieurs dizaines d'années de carrière se tournent tous vers l'introspection - mouvement finalement très commun et moins subversif qu'on pense -, mais Dupieux esquive la question, la laissant entre les mains de son personnage de Magalie et de la journaliste qui l'interroge, tombant dans la violence prévisible, tellement prévisible qu'elle est littéralement annoncée par un "3, 2, 1" juste avant qu'un personnage la subisse, comme me l'a fait remarquer très justement Oriane. Cette question de "pourquoi créer, pourquoi continuer de créer" est centrale, et les réponses arrivent de biais, avec cynisme, constat acide et dialogues cinglants qui cherchent à noyer le poisson. Mais la question demeure pourtant: pourquoi les artistes continuent-ils de produire quand l'argent coule à flots ? Et pourquoi continuons-nous à les entretenir, au sens bourgeois, au sens de mécénat, de les maintenir dans cet état en subvenant à leurs besoins ? Et cette question, si Dupieux l'adresse d'abord de lui à lui, cette question est tout autant lancée au public, déjà dans Yannick. La conversation continue, et Dupieux continue de l'alimenter, de rajouter de l'huile sur le feu parce qu'il esquive la réponse et l'exploite en même temps; parce que la réponse apportée ne le satisfait pas, et en même temps elle ouvre des fissures qui font peur, des fissures sur l'hyperspécialisation de tout, y compris - et peut-être surtout - de l'art dans une société malade qui oblige tout le monde à continuer de faire la même chose, encore et encore, parce que, que pourrait-on faire d'autre ? Imaginerait-on Dupieux pointer tout à coup dans une boîte d'interim pour faire un peu de maçonnerie ou de charpente, juste pour le plaisir de le faire, voire même gagner un peu d'argent ? Mais aussi doué soit-il pour faire des films, on le déboutterait de l'agence dans l'heure, et à raison: il n'est ni maçon, ni charpentier, et probablement personne l'embaucherait. Il pourrait se former lentement, il a sans doute suffisamment d'argent mis de côté pour accepter de ne pas être payé pendant cette période et puiser dans ses réserves (j'espère pour lui en tout cas). Mais c'est ce constat qui est au coeur de l'Accident de Piano, et qui irrite tout le monde, partout, devant et derrière l'écran: cette finitude de l'hyperspécialisation, cette résignation que si on commence - dans le meilleur des cas - avec ce qu'on *veut* faire pour se réaliser, en se sentant parfois bénis et chanceux, on finit presque systématiquement par faire ce qu'on *peut* faire, et pas beaucoup plus. Magalie, derrière sa méchanceté forcée par le script et son agressivité, l'a compris mieux que quiconque dans le film, et sa tragédie est d'être une reine aux dents appareillées, dans un royaume de sans-dents d'un côté (ses fans bas de plafond), et de bouches aux cuillères d'argent de l'autre (la journaliste qui l'intellectualise).

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