Affiche du film Le Garçon et le Monde

Le Garçon et le Monde

Un film de Alê Abreu, sorti le 17 janvier 2014

Status: Vu le 18 janvier 2025

J'accroche à la proposition formelle, esthétique, l'animation est superbe, le travail sur le son également. Tout ça est très bien. En revanche, je n'adhère pas du tout aux messages altermondialistes présents dans le film, à la fois en tant que diégèse pour le personnage, et en tant que strate idéologique importée par les adultes dans la pièce, qui calquent leurs visions des choses sur les réactions et les attitudes de ce même personnage. Et je dis ça en étant très à gauche sur l'échiquier politique. D'abord, il y a toujours le plaisir (non) de voir dans les crédits le nom de Petrobras pour les financements, mégacorporation de l'industrie pétrolière, dans le top 15 du secteur. Si Total avait financé un film d'animation pour enfants (qui est en fait un film pour adultes, ne nous y trompons pas), tout le monde aurait crié au scandale et au greenwashing, à raison. Pourquoi l'indulgence critique sur Le Garçon et le Monde ? Mais passons. C'est sans doute ce qui explique que la critique de la destruction systématique est si lisse, si innoffensive dans le film. Le garçon ne posera pas de bombe, l'état-entreprise gagnera le combat contre le phénix de la samba sans même transpirer un minimum, c'est tout juste si la pellicule réelle qui apparaît en point d'orgue en brûlant littéralement l'animation montrera quelque chose - des images qu'on découvre être des images libres de droit shutterstock dans les crédits, comble de l'ironie - vraiment comme pour dire que le boulot a été fait, que la critiqué a été formulée, et même doublement exposée en basculant sur ce "réel" de banque d'images, si jamais vous aviez loupé le coche. Mais rien n'a été formulée. Tout n'est qu'imagerie symbolique, révolte de pacotille, poésie à demi-mot. A travers un travail minutieux sur l'architecture, la composition, les couleurs, les formes, les textures, la ville ressort comme un énorme terrain de jeu, une merveille du monde, et il n'y a guère que la superposition d'un message extra-diégétique pour tourner tout ça en critique féroce de l'aliénation, du marché mondalisé, du capitalisme, de la consommation excessive. Mais ce message ne surgit de rien dans le film, et le garçon n'a pas de raison de penser que tout ça est plus ou moins merveilleux et magnifique que le reste du monde, formellement parlant. Son attitude envers la télévision par exemple, illustre ce que j'essaie de dire. Lorsqu'il découvre cet objet, pour ce que j'imagine être sa première fois devant le poste, il adopte vite une attitude triste, abattue, comme s'il était assommé par le flot incessant d'images de réclames et d'émissions. Mais ce message n'est pas une évidence. Quiconque observe un enfant, n'importe quel enfant, avec un smartphone ou une tablette entre les mains verra à quel point l'image fascine, enthousiasme, captive. La réaction de l'enfant dans le film, à ce moment là de la diégèse, n'est pas sa réaction: elle est la surcouche surimposée par nous, par eux, par l'équipe du film qui voit la télé comme un outil néfaste d'aliénation, car nous sachons. Il y a des exceptions à cela, mais en tendance toute la ville et ce qu'elle implique est présentée à travers nos yeux, et non pas ceux de l'enfant, alors que c'est précisément en arrivant dans cette ville et dans ce monde si nouveau que le film s'emballe et déploie tout ses efforts esthétiques: ici une inversion des couleurs et un ballet géométrique pour l'emballement des marchandises, là un jeu de Tetris pour l'empilement des containers, ailleurs un travail de collage de coupures de journeaux, posters, sans parler de l'agencement urbain, une jungle excitante, des lignes de fuite, des formes bigarrées, de l'altitude, non vraiment la ville du film est tout sauf une horreur, et il faut bien un détour incontournable vers la militarisation pour montrer que quand même tout ça est bien vilain, et garde à qui trouverait ça finalement tout à fait incroyable, à contre-sens de tout ce qu'on a reçu dans les yeux de prouesse technologique et de dessins inspirés et inspirants. Le Garçon et le Monde est formellement schizophrène, de cette même schizophrénie qui traverse Citizen Sleeper quand il veut me parler de gig economy et de lutte quotidienne à travers des mécaniques qui m'ont rendu riche à la moitié du jeu. Reste une lecture psychologique et personnelle de ce personnage, de ce petit garçon qui boucle sur lui-même, et revient vers les terres de son enfance, dans une introspection qui me laisse de marbre, car je fais très exactement le processus inverse de lui en grandissant, car la nostalgie de cette supposée âme d'enfance me laisse sceptique, voire méfiant, le genre de discours qui ressemble à une certaine vision privilégiée qui ne dit pas son nom, de ces gens qui ont vécu des enfances heureuses, et grand bien leur fassent, mais ce ne fut pas mon cas, et de voir l'enfance presque quasiment, systématiquement, définie dans les arts par cette nostalgie, cette innocence, ça me brosse dans le mauvais sens du poil. J'en ai planté des arbres quand j'étais gamin, et il ne s'agissait pas simplement de tasser un peu la terre et mettre un peu d'eau. C'était plus de l'ordre de travailler trois heures à coups de pelle pour répondre aux caprices d'un riche propriétaire qui avait engagé mon père, et mon père m'avait forcé à venir avec lui pour l'aider parce qu'à quatorze ans on ne peut pas rester oisif pendant les vacances estivales. Aujourd'hui ces arbres n'existent plus, remplacés sans doute par une haie, ou rasés pour faire l'extension d'une véranda de cette maison secondaire, une parmi tant d'autres qui auront occupé tous mes étés ou presque jusqu'à mes dix-huit ans. Cette année-là, les arbres plantés m'ont permis d'avoir un ordinateur, cadeau pour lequel j'ai dû bosser tout l'été à nouveau pour l'avoir, premier ordinateur de ma vie, qui avait le goût d'une jeunesse tout sauf innocente et naïve, et l'odeur d'une liberté future, loin de tout ça. Cette enfance et cette adolescence m'a radicalisé, et si je devais revenir sur les lieux en étant vieux, je ne serais pas moribond et nostalgique comme le garçon devenu vieux, je reviendrais vénère, et je rêverais plutôt de briser les vitres des résidences secondaires des riches qui m'ont volé mes étés.

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